Un commando montagne camouflé en forêt : une histoire de teintes, de formes et d'ombres. Un passage au salon de la Photo et le souvenir d'une explosion sur les Champs-Élysées.
Je sais, Edgar Morin avait dit "il faut assumer l'aventure de la vie", mais je suis une fille qui a facilement la flemme et qui fonctionne à l’économie de moyens, donc 7 mots c’était trop long.. J’ai bien pensé réduire à trois : “il faut assumer” c’était pas mal aussi, surtout dans cette société actuelle où tout est principe de précaution (il y a 10 jours un employé municipal a essayé de m’empêcher d’aller courir en passant par mon parc préféré “parce qu’il y a de forts vents prévus” autant vous dire que c’était pas la meilleure idée) mais trois c’était encore trop, alors je l’ai raccourci encore : “assumer l’aventure”.
D’une certaine façon, ces deux mots résument bien mon choix, à la fois personnel et professionnel, d’être photographe indépendant. Ce choix pour lequel j’ai opté une première fois il y a plus ou moins 17 ans, et que je refais, régulièrement, à chaque fois qu’une difficulté se profile ou qu’un coup dur me surprend. J’ai choisi ce métier pour être libre et pour vivre de formidables aventures… à ces titres-là, la promesse est tenue, rien à dire !
Mais la vraie liberté de vivre ces aventures implique de faire quelques sacrifices (au nombre desquels le confort, la sécurité…). Trop souvent, ceux qui fantasment et voient avec beaucoup de détail cette face lumineuse de l’icône du photographe, oublient de regarder dans les zones d’ombre. Ce ne sont pas les contreparties de l’aventure. Il s’agit seulement d’assumer ses propres choix, réalisés en conscience, et d’assumer la totalité de leurs conséquences, aussi.
Assumer l’aventure, donc.
Commando montagne du GCM4 lors la première phase tactique de l’exercice Cerces 2021.
Ref:4321-23-0069 | novembre 2021, massif des Bauges
J’ai eu quelques occasions d’échanger avec ces autres photographes professionnels que sont les ptits gars du renseignement, il y en a un peu partout, en police et gendarmerie, dans les armées.
Eux ont pour mission de faire des photos, non pour qu’elles soient belles, mais pour remplir un dossier qui ira ou bien sur le bureau d’un juge, ou bien sur celui d’un chef, qui décideront de la “culpabilité” de ce qui est figuré sur la photo. Exit la notion de beauté visuelle de la photo, donc, et place à sa valeur probante.
Dans le même ordre d’idée, en général, ceux qui photographient ne sont pas les bienvenus là où ils photographient, ce qui les oblige à être discrets, cachés, loin… C’est pas forcément simple, donc.
Et nous en arrivons au point qui m’a fait choisir cette photo : le camouflage qui leur permet de passer inaperçu. Le camouflage visuel me plaît forcément beaucoup car il est très caractéristique. Même si je suis obligée de reconnaître que ceux qui officient et moi avons des objectifs contraires: si ils se fondent complètement dans leur environnement visuel, mes sujets ne seront pas visibles par ceux qui regarderont mes photos qui verront… un bout de paysage sans intérêt !
J’ai donc fait mon deuil des photos des “caches” et des opérateurs camouflés: quand elles ne sont pas bidonnées façon cinéma aux armées, ces photos ne rendent jamais rien. Je fais des photos à d’autre moments.
Ce qui ne m’empêche pas d’apprendre des choses que je peux reprendre à mon profit, comme ce FFOMECBLOT décrivant les fondamentaux du camouflage militaire. Qui rappelle par exemple qu’un élément passe d’autant plus facilement inaperçu qu’il est sur un fond bruité/disparate. A bien y réfléchir, ces fondamentaux présentent le strict opposé de ce que tout photographe documentaire cherche à immortaliser : distinguer son sujet et ses formes, l’inscrire dans un arrière plan qui présente un contexte, le mettre en relief par la lumière, montrer ce qui bouge et ce qui est immobile. On est faits pour ne pas s’entendre, donc. Ce qui n’empêche pas de se parler ;-)
Début octobre, c’est la période du salon de la Photo, l’occasion de croiser par hasard des photographes perdus de vue, raconter des trucs punchy en conférence, en raconter d’autres hors conférence… et d’aller à la rencontre de toutes ces jeunes pousses qui n’osent pas toujours trop croire en elles... L’occasion de retrouver dans mes tablettes cette citation de Shakespeare (ça ne me fait pas de tort non plus)
Nos doutes sont des traîtres qui nous font souvent perdre par crainte d'entreprendre la bataille que nous pourrions gagner.
- William Shakespeare, Measure for Measure (acte I, scène IV)
J’ai trouvé le temps de coucher quelques pensées plus ou moins légères par écrit (plutôt moins que plus, on se refait pas).
Une réaction à un chiffre qui m’a impressionnée, déjà : aujourd'hui, nous sommes exposés à 6000 impacts publicitaires par jour, quand notre cerveau n’est en mesure de n’en retenir que 18 (étude Insign 2025). Ce qui a été l’occasion de réfléchir à une forme de manifeste que vous pouvez lire sur LinkedIn.
Un post Good vibes only avec une photo collector ensuite : le battle de mes formidables stagiaires face à ce que certains techbros aimeraient nous vendre comme l'avenir de l'humanité, à savoir : l'IA, et c’était sur LinkedIn.
J’en profite pour annoncer aux photographes pro qui suivent cette lettre (merci !) que je participerai vendredi 7 novembre 2025 à une rencontre Clic n’ Connect sur ce sujet de l’Intelligence Artificielle à la maison des photographes, c’est réservé aux adhérents de l’UPP mais ça vaut le coup !
Maintien de l'ordre sur les Champs-Élysées dans le cadre de la manifestation interdite Gilets Jaunes acte 2
Ref:1418-18 | novembre 2018, Paris
A quelques jours d’intervalle à peine, j’ai recroisé ce mois-ci des personnes -très différentes- qui avaient pour point commun d’avoir croisé mon chemin le 24 novembre 2018 sur l’avenue des Champs-Élysées. Ce qui a été l’occasion de partager le souvenir de nos ressentis de l’époque et de ce que ça avait changé pour chacun d’entre nous dans notre façon de concevoir notre métier. Évidemment, ça m’a donné l’idée de me replonger dans mon reportage complet...
Pour ma part, le souvenir marquant de cet acte GJ en particulier a été l’explosion de la bouteille de gaz jetée par des criminels depuis un bâtiment de chantier sur la barricade enflammée que j’avais contournée et franchie moins d’une minute plus tôt avec un collègue photographe. Autour de nous, tout était particulièrement calme à ce moment, et nous étions suivis de peu par un gendarme mobile qui suivait le même chemin pour rejoindre son iribus.
Le hasard a voulu que quelques mois plus tôt, à l’occasion d’un reportage avec des pompiers, j’ai été le témoin de formateurs incendie qui avaient mis toute leur énergie et leur créativité pour réussir à faire exploser une bouteille de gaz (bain d’hydrocarbure enflammés, etc.) afin de réaliser une vidéo pédagogique. Formateurs qui, malgré toute leur expertise, leur volonté et le modèle antédiluvien de la bouteille test (qui n’avait pas les soupapes de sécurité modernes) n’y étaient pas parvenus: la bouteille s’était mise en torchère.
Mais ce samedi-là, la bouteille a explosé, et ceux qui avaient jeté la bouteille pour qu’elle détone en bas ne pouvaient pas ignorer qu’il y avait des gens à coté. Sur le coup, je ne le réalise pas encore; d’autant que la déflagration aura pour effet de très sérieusement chambouler le collègue avec moi, que l’évènement va projeter dans une expérience passée douloureuse et pas du tout traitée.
Ce jour-là, je fais ce que tout pote maladroit qui essaye d’être un peu sympa fait: je lui propose de sortir de l’arène avenue et d’aller nous mettre au calme et en sécurité quelque part dans un bar loin de toute cette agitation. Plusieurs heures et litres de consommations alcoolisées plus tard, je comprends enfin ces vieux photojournalistes franchouille qui après une conférence, en réponse à une de mes questions de jeune bébé photog’, m’avaient jeté à la gueule avec toute leur arrogance “que le syndrome de stress post-traumatique n’existe pas chez les journalistes français”. Pas de SPT non, juste une facilité à céder à l’alcoolisme pour essayer d’oublier #cetaitdoncça #estcequecestvraimentmieux?
Du coup, comme cela m’arrivera souvent par la suite, je ne réussirai pas à traiter en rentrant “dans la foulée” les photos de ce reportage. Ni le lendemain. Trop chargées émotionnellement pour me permettre de faire un editing avec la distance nécessaire entre “ce que j’ai ressenti” et “ce que mes photos ont immortalisé”. Et c’est à partir de ce reportage que je commencerai à m’apaiser sur ce point : ma force et mon avantage, en tant que photographe indépendant, c’est d’avoir le temps nécessaire pour prendre du recul et ne pas être dans l’urgence, de pouvoir construire une vraie narration authentique.
(Il en sera au moins sorti un truc de bien !)
Derrière les images ces derniers temps, il y avait : un dessin sur mesure à faire générer par IA pour l’anniversaire de La Directrice -je vous raconte pas la galère-, un tirage très grand format à la signature chez Picto avant son encadrement, Tigrou et une icône “not bad, just drawn that way” au salon de la Photo #PointVirulence, Océane et son formidable sourire, un selfie entre filles du monde qui se la racontent, un reflet un peu graphique, et un footing parmi tant d’autres !
J’espère que cette lettre vous aura plu / détendu / intéressé et peut-être même fait découvrir des trucs ! Si vous avez un avis sur son contenu, vous pouvez me faire part de vos critiques, remarques et autres conseils d'amélioration à cette adresse : sandra.chenugodefroy@gmail.com
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