Supprimer des photos. Choisir le risque. Et faire des trucs. Voilà le meilleur programme que je puisse vous proposer pour la rentrée, on est partis ?
J’aime consacrer la période estivale à ces tâches absolument nécessaires que je reporte toute l’année, débordée par la succession de sollicitations toujours urgentes. Non que mes clients et donneurs d’ordres soient tous en coupure sèche durant deux mois, mais la période fait qu’ils acceptent plus facilement qu’on puisse “voir à la rentrée”. Je peux donc avancer mes dossiers de fond sans être interrompue.
Au bilan : je viens de passer 3 semaines à consacrer la quasi-exclusivité de mes journées à mes archives, à la classification et l’indexation des fichiers numériques, évidemment, mais aussi des tirages d’épreuve que je conserve précieusement, mais pas toujours de façon très ordonnée. A force de compléter et d’enrichir mes légendes, j’ai fini de me convaincre que le légendage était mon épreuve de Sisyphe personnelle, alors je m’apaise de son inachèvement. Et in fine, j’en suis arrivée à supprimer des photos.
Supprimer. Le mot est lâché. Des années que je refusais de m’y résoudre : “sait-on jamais”… Il m’a fallu ce temps pour cheminer et admettre que, de toutes façons, une photo non sélectionnée, non légendée, non qualifiée parmi plus d’un million d’autres, si elle avait plus d’un an : il n’y avait aucune chance qu’elle ressorte miraculeusement aujourd’hui. Point.
Que cette photo représentait juste une forme de “bruit” numérique. Et quand elle s’additionnait à des centaines et milliers de ses semblables “non retenues”, elle devenait le meilleur moyen de dissoudre le pouvoir de celles qui avaient été “retenues” parce que nettement plus puissantes et remarquables.
D’aucuns font un grand ménage de printemps dans leur maison. Moi je fais un grand ménage d’été dans mes photos. L’idée est la même : y voir clair.
Démineur du GID de la Sécurité Civile en gare de Lyon Part-Dieu traitant un bagage suspect
Ref:1523-19-0552 | août 2023, Lyon
J’aime beaucoup travailler auprès des démineurs. Et si on conçoit aisément que l’aspect fortement visuel de cette spécialité soit une bonne raison de m’y intéresser en tant que photographe, il faut trouver dans la prise de risque à la base de ce métier une autre raison de mon intérêt.
Parmi les menues bricoles que m’ont offert ceux de la DGSCGC, il y a ce porte-clef reprenant le dessin d’un médaillon historique du corps des démineurs-volontaires.
Dessus il est écrit : “la première erreur est souvent la dernière”.
Ce qui m’intéresse donc, c’est ce qui est fait, une fois que la conscience du risque est là. Cette notion de méthode qu’ils appliquent, de grille d’analyse forgée par l’expérience personnelle et le retour d’expérience, l’acceptation -à un certain degré- d’une forme d’intuition… qu’on ne voit nulle part ailleurs !
J’en veux pour preuve l’immense part de liberté que la responsabilité offre aux opérateurs : “à partir du moment où c’est ma couenne qui est dans la tenue, personne ne peut m’imposer comment faire !”
Et puis il y a cette gestion de l’habitude dans le risque, du risque au quotidien… Dans le cas de ces démineurs civils habitués à intervenir sur les “bagages abandonnés” dont des milliers, chaque année dans le monde, ne sont jamais rien d’autre que des “bagages oubliés”. Sauf que nous avons Madrid en 2004 ou Bruxelles en 2016 pour nous rappeler les conséquences d’un seul de ces bagages quand il avait été abandonné “à dessein”.
L’habitude et la lassitude, celle des usagers, celle des personnels de sécurité, celle des démineurs eux-mêmes…
Il est tout juste 21h ce mardi soir, et le téléphone d’alerte vient de sonner : on a trouvé un bagage abandonné sur les quais de la gare de la Part-Dieu. Le binôme d’alerte prend place à bord du véhicule d’intervention et je monte à bord…
Ceux d’un peintre ce mois-ci, avec la peinture duquel je n’ai jamais été très “à l’aise” mais dont la démarche m’a toujours inspirée. J’ai eu de nombreuses occasions de repenser à cette phrase ces dernières semaines #PassionPython :
Je passe mon temps à faire ce que je ne sais pas faire, pour apprendre à le faire.
- Pablo Picasso
Trop occupée à rédiger des légendes et ranger des dossiers, je n’ai rien commis d’exceptionnel en ligne ce mois-ci. Mais une question de wanabe stagiaire -c’est l’époque où ceux qui anticipent un peu prennent contact: et ils ont bien raison !- m’a conduit à retrouver un papier sympa. Il y est question d’un moment de stress absolument intense dont je ne me suis sortie que parce que depuis 15 ans, je m’attache à faire “un peu plus” chaque jour pour être “une meilleure photographe” . Et qu’à un moment ça sert. Je vous laisse découvrir pourquoi sur le blog
Sapeurs-pompiers du SDIS 13, du BMPM et renforts régionaux engagés sur le feu de forêt de Carry-le-Rouet de 2010.
Ref:2010-14 | juillet 2010, Martigues
Parcourir des dossiers pour les archiver est aussi l’occasion de s’y replonger, depuis au moins 15 ans donc, le scénario de celui-ci se reproduit invariablement chaque année : malfaisance, inattention ou réchauffement climatique, la forêt s’embrase, et sa progression soutenue par le vent, menace des vies humaines.
Dans ces moments, on est plutôt contents de pouvoir compter sur ces pompiers qui attendaient en tapant le carton sur le toit des CCF (Camion Citerne Feu de Forêt) ou en faisant la sieste à l’ombre dessous ;-) . De pouvoir compter sur ces hommes et femmes, volontaires et professionnels, qui arment les GIFF (Groupe d’Intervention Feu de Forêt) et vont se positionner par groupe de 4 aux ordres du préfet dans des coins de forêt exposés et reculés pour être “prêt à”.
En juillet 2010, rien ne laissait présager que je finirai un reportage au sein du SDIS 84 le soir même où un feu de forêt d’origine criminelle et attisé par le Mistral allait naître du coté de Sausset-les-Pins dans le 13 (dévastant au final plus de 900 hectares de pinède). Et quand l’info tombe, elle m’impose de choisir: m’adapter et témoigner des premières heures d’un sinistre de cette ampleur, ou ne pas prendre de risques et m’en tenir au plan. Je n’ai pas trop réfléchi et marché à l’instinct. 15 ans plus tard, je regarde mes planches contact, et ne peux pas m’empêcher de penser que j’ai fait le choix qui me correspondait le mieux hier, et que je regrette le moins aujourd’hui.
Derrière les images ces derniers temps, il y avait un regrettable accident -heureusement très bien géré par l’hôpital public français : merci 🙏- , des tests de tirages photo sur du papier translucide, un joli oiseau peint par Stewearth, une fougère récemment débarquée à l’atelier et qui a l’air de s’y plaire, quelques apéros et barbeuk, et des footings pour ne pas perdre le rythme !
J’espère que cette lettre vous aura plu / détendu / intéressé et peut-être même fait découvrir des trucs ! Si vous avez un avis sur son contenu, vous pouvez me faire part de vos critiques, remarques et autres conseils d'amélioration à cette adresse : sandra.chenugodefroy@gmail.com
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